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Journaux de bord

Des communautés avec espoir et sans police

Comment réagir face au constat désolant de l’ampleur des meurtres transphobes, racistes, des violences sexuelles, sans tomber dans le piège d’une réponse punitive ?

Feb 15, 2023
Des communautés avec espoir et sans police

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Les retours de Fracas sur son expérience de terrain, constats et hypothèses.
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En France, depuis les années 70-80, une large partie des revendications militantes LGBT+ et féministes reposent sur la reconnaissance étatique des violences faites à l’encontre de nos communautés. Les revendications autour du durcissement des sanctions pénales à l’égard de leurs auteur·ices se sont progressivement installées comme la seule solution valable.

Depuis 2020, en France, une tension majeure semble naître entre cet héritage punitif d’un côté et les voix de la justice transformatrice de l’autre, qui connaissent depuis 2016 un renouveau aux Etats-Unis1, se mêlant aux voix abolitionnistes antérieures.

Comment réagir face au constat désolant de l’ampleur des meurtres transphobes, racistes, des violences sexuelles, sans tomber dans le piège d’une réponse punitive ? Dans celui de la promesse étatique que le système de répression pénale nous garantit la sécurité et la résolution de nos conflits ?

Face à la peur d’une société largement sexiste, raciste, transphobe, validiste etc., les images télévisées et la propagande étatique en faveur de la police et de la prison ont de quoi séduire. Poser certains arguments abolitionnistes de base est ici nécessaire pour avancer.

Dans l’introduction du livre Against Equality : Prisons Will Not Protect You2, Dean Spade, professeur, avocat et militant trans, donne des argument concrets contre le système étatique3 :

  • les prisons ne sont pas pleines de criminel·les, elles sont pleines de personnes racisées, de pauvres et de personnes handicapées ;
  • l’essentiel de la violence ne se produit pas dans la rue entre des inconnu·es, comme à la télé, mais entre des gens qui se connaissent, dans l’intimité des foyers ;
  • les personnes les plus dangereuses (qui dirigent les banques, les gouvernements, les armées, la police) ne sont pas incarcérées et n’ont quasiment aucune chance de l’être ;
  • les prisons n’enferment pas les violeurs et les tueurs en série, ce sont elles, les violeuses et les tueuses en série ;
  • augmenter la criminalisation ne rend pas le monde plus sûr, cela ne fait qu’alimenter le système policier-carcéral4.

Vouloir mettre à bas, entièrement et complètement le système pénal-carcéral nécessite d’avoir cette vision d’ensemble et une approche critique du discours pro-carcéral. Mais vouloir abolir la prison peut faire peur. Prendre connaissance des initiatives abolitionnistes et transformatrices existantes peut permettre de dépasser cette impression de se jeter dans le vide.

Dean Spade distingue trois sortes de stratégies suivies par les militant·es queer et trans, qui “refusent de croire aux mensonges des systèmes policiers” :

Soutien à la survie des personnes queer et trans les plus vulnérables à la violence

Par exemple, des projets créant du lien avec les personnes queer et trans en prison, des projets de foyers pour les personnes n’ayant pas accès à un logement etc.

Démantèlement des systèmes qui mettent les personnes queer et trans en danger

Lutter contre la construction de nouvelles prisons, contre des institutions type SoFECT, lutter pour la décriminalisation du travail du sexe, des personnes immigrées, pauvres etc.

Construire des alternatives

Développer l’accès aux transports, à un logement sûr, des cercles d’amitiés et de soutiens solides, des mutuelles, des centres de soin communautaire etc.

Ces différentes stratégies, mises bout à bout, finiront par rendre la prison, la police et les frontières obsolètes. Elles l’ont déjà fait à certains endroits (voir les initiatives à Minneapolis ou Durham, Etats-Unis), et pourront le faire dans nos communautés et nos villes.

La justice transformatrice et abolitionniste ne relève pas d’une destruction mais bien d’une histoire collective de création et de construction.

Références
1 Notamment avec le livre de Chen, Ching-In, Dulani, Jai & Lakshmi Piezna-Samarashina, Leah (dir.), The Revolution Starts at Home : Confronting Intimate Violence Within Activist Communities, Chico (CA), AK Press, 2016.
2 Trad : “Contre l’égalité : les prisons ne vous protégeront pas”.
3 Paragraphe tiré de la traduction et note de bas de page dans Bigé, Emma (coord.), “Justice transformatrice”, Multitudes, 88, 2022, p.96.
4 Pour une actualisation de ces arguments, on peut notamment se reporter à Jackie Wang, Capitalisme carcéral, traduit de l’anglais (États-Unis) par Philippe Bouin, Paris, Éditions Divergences, 2019 et à l’anthologie du collectif Matsuda, Abolir la police. Échos des États-Unis, Le Mas d’Azil, Niet Éditions, 2021.
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