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Le moralisme progressiste

« Le moralisme progressiste » ou comment on se retrouve à pinailler sur un choix douteux d'adjectif sur insta au lieu de s’attaquer au FMI.

Mar 14, 2023
Le moralisme progressiste

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Dans la BD Grandeur et décadence*, Liv Strömquist parle du travail de Wendy Brown sur le « moralisme progressiste »**. Ce « moralisme progressiste » peut se retrouver dans nos communautés queer et féministes. 

D’après Brown, les « forces progressistes » (dont milieux militants de gauche) se sentent actuellement impuissantes et désemparées face à la situation politique, économique, climatique. Au lieu de chercher à comprendre pourquoi elles se sentent désemparées et impuissantes et d’avouer leur faiblesse, elles font semblant de continuer à mener des combats fondamentaux. En l’absence d’un projet militant qui permettrait à tou·te·s de s’exprimer autrement, les « forces progressistes » succombent à un moralisme justicier et réprobateur.


Le moralisme se manifeste dans les interdits.

Ainsi sont condamnés certains mots, arguments ou actes ; ou alors leur usage est restreint à un registre très étroit, ce qui revient à une sorte de censure. Le débat autour du terme tranny est un bon exemple : oubliant l’aspect politique de sa réappropriation, des queers ont vivement critiqué son emploi parce que ça les « triggerait ».

Une autre caractéristique du discours moraliste est de se focaliser sur certaines personnes, prises individuellement, qui incarneraient l’ordre établi et tout ce que l’on veut combattre, comme le racisme, le sexisme, l’homophobie etc. et de réduire tout simplement le mal à ces cas individuels.

Ainsi, les individus qui se sont rendu·e·s coupables de certaines actions ou déclarations sont-iels traité·e·s comme des symboles de toute une structure d’oppression. Du coup, iels sont culpabilisé·e·s avec une extrême dureté et deviennent l’objet d’un rejet moralisateur.

On retrouve ces controverses moralistes dans les milieux culturels et militants. 


On se bat sur ce que quelqu’un·e a dit ou fait sur les réseaux sociaux au lieu de s’intéresser aux vrais détenteurs du pouvoir politique et économique, à savoir le secteur financier, les grandes multinationales, le FMI, l’UE, le G7, les banques etc. Ces instances échappent complètement à la critique de cette soi-disant « force progressiste ».

On agit donc comme si les injustices sociales découlaient uniquement de la faillite morale de certain·es, au lieu de reconnaître qu’elles sont aussi le résultat d’un processus historique de construction culturelle, politique et socio-économique du pouvoir.

Tout cela favorise des prises de position politiques qui ne ciblent que des faits et gestes purement symboliques. Tout cela empêche bien évidemment de parler des causes réelles d’injustices sociales profondément enracinées.

Le moralisme est « une duperie de soi anti-intellectuelle qui finit par devenir conservatrice, destructrice de soi, anti-politique et contre-productive »**.

Références

*Liv Strömquist, Grandeur et décadence, 2017, Ed. Rackham
**Wendy Brown, Politics Out of History, 2001, Princeton University Press
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