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Journaux de bord

Les prisons queer

Les techniques de punition intra-communautaire tendent à utiliser des ressorts similaires à ceux du système carcéral : exclusion, enfermement, rédemption, contrôle.

Mar 11, 2022
Les prisons queer

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Les retours de Fracas sur son expérience de terrain, constats et hypothèses.
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Dans un discours de 1976, Foucault explique que si les positions anti-carcérales sont de plus en plus populaires, ce n’est pas parce que la prison fait faillite. Au contraire, c’est parce que ses fonctions de contrôle et de punition ont réussi à s’exfiltrer hors de ses murs, dans la société, la famille, le travail.

Les communautés autour des individus ayant commis des infractions ou des crimes se voient déléguer les fonctions étatiques de contrôle. Par exemple, l’usage du bracelet électronique se répand dans les années 2000 et transforme l’espace privé du foyer en lieu de restriction où purger sa sentence.


Dans une mesure tout autre, les techniques de punition communautaire utilisent les mêmes ressorts.

L’exclusion totale ou partielle, le call-out, impliquent un enfermement dans des espaces restreints (le foyer, dans certains lieux de socialisation définis etc.) des individus dont les ressources (sociales, financières) reposent sur les communautés queer. A la suite de ces sentences, les réputations des individus restent entachées par ces communautés, un peu de la même manière qu’un casier judiciaire. Il est courant que des histoires remontant à plusieurs années ressortent pour discréditer politiquement ou interdire l’accès à un lieu. Il n’y a pas de place laissée à l’apprentissage et à l’évolution. 

De même, avec les réseaux sociaux ou le bouche à oreille, il est aujourd’hui possible de suivre la trace d’une personne et ainsi de la contrôler, par exemple en vérifiant qu’elle respecte bien le partage d’espace qui lui a été imposé. L’accès accru aux informations personnelles donne un pouvoir non négligeable sur la vie d’autrui. Il devient possible de contacter les nouveaux groupes d’ami·es, le nouveau patron, les lieux queer dans sa nouvelle ville etc. pour call-outer une personne. 

La prison repose notamment sur le fait que les prisonnier·es doivent accepter leur sentence et intégrer la culpabilité pour faire preuve de leur volonté de réintégrer la société*.

Chez Fracas, nous entendons régulièrement des personnes dire aux aucteur·ices de conflit qu’iels doivent faire preuve d’« humilité », de « soumission » ou de « rédemption ». Dans un conflit, si une personne est vue comme ayant commis une « faute », le fait qu’elle tente de partager sa version des faits est souvent vu comme une tentative de justification.

Dans la plupart des cas, cela ne fera qu’empirer la situation car on lui reprochera de ne pas accepter de manière fatidique la sentence infligée. 

Tous les exemples cités ci-dessus sont des choses que nous avons entendues dans notre travail militant. Il est inquiétant de voir à quel point il est courant, dans nos communautés, d’utiliser des mécanismes similaires à ceux de l’Etat. Se dire anarchiste, féministe, queer ou abolitionniste ne peux être qu’une posture politique, cela doit entraîner la remise en question de nos pratiques.

Références
- Michel Foucault, "Alternatives" à la prison, 2021, ed. Divergences
- Sarah Schulman, Le conflit n'est pas une agression, 2021, ed. B42
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